Comment le caviar est-il devenu le symbole du luxe absolu ?

AUTEUR
Aurélien
DATE
27.09.2018
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Par Aurélien • Publié le 27/09/2018

Comment le caviar est-il devenu le symbole du luxe absolu ?

Le caviar n’a pas toujours été un produit de luxe. Dans la petite Russie médiévale, c’est même le contraire. La religion chrétienne orthodoxe, officiellement religion d’État depuis 988 impose aux Russes de longues périodes de carême et de privation de viande. Plus de la moitié des jours de l’année sont maigres ou jeûnés. La chair de l’esturgeon qui est pêché dans toute la Volga est consommée fraîche ou séchée. Elle est très appréciée comme mets de carême, pour sa texture ferme proche de celle du veau. Aux familles modestes, il reste le caviar, substitut bon marché à cette chair d’esturgeon devenue coûteuse. Pour les plus fortunés, le même caviar remplace le beurre dans les plats en sauce.

Les tsars

Les choses commencent à changer au XVIe siècle avec la conquête progressive par les Russes des rives de la Volga, jusqu’alors sous domination mongole. En 1556, le premier tsar, Ivan le Terrible, achève cette conquête en annexant le khanat d’Astrakhan. L’accès à la mer Caspienne s’ouvre enfin à l’Empire russe. Ce sont les cosaques, qui en guise de remerciements pour avoir combattu aux cotés des Russes, sont chargés de garder les nouvelles frontières et d’assurer la bonne tenue des pêcheries de la région.

Farouchement attachés à leur liberté, il ne paient chaque année  qu’un trubut symbolique au tsar : quelques fourures et de petits tonnelets de caviar. Cet impertient cadeau rituel, de bien faible valeur au vu de la richesse des pêcheries de la Volga, devient pourtant un présent très apprécié des premiers Romanov. A tel point qu’au siècle suivant, en 1675, le tsar Alexis Ier déclare le caviar monopole impérial. Ce dernier y voit sans doute un symbole pour sa jeune dynastie régnante, en affirmant son autorité sur des Cosaques sans cesse en rébellion.

Dès lors, le caviar prend un accent élitiste en Russie, tout en restant un plat exotique et mystérieux pour les Européens.

A la cour de Russie

La cour impériale de Russie prend l’habitude de consommer du caviar en dehors des périodes maigres. La mode pour ce produit se répand au sein l’aristocratie russe. Le caviar y devient un mets central lors fêtes de Maslenitsa, équivalent russe du Mardi gras ou du carnaval. Les plus fortunés des Boyards, une caste aristocratique slave, font remonter des esturgeons vivants, trainés dans des cages immergées le long de la Volga, pour avoir sous la main une réserve de caviar frais et mûr à souhait, raffinement le plus absolu.

Au même moment, la Russie s’ouvre progressivement au monde, mais le caviar qu’elle exporte est pressé : fort en bouche, odorant et salé, il n’est pas du goût de tous les palais.

En 1629, à l’occasion du carême, Galilée fait parvenir plusieurs pots de caviar à sa fille illégitime, Virginie, entrée au Couvent. Celle-ci lui fait poliment savoir que ce “fromage” n’est pas à son goût et qu’elle lui préférera de la soupe et des figues. Mais que sa mère supérieure, moins délicate, insiste vivement pour en recevoir à nouveau.

La noblesse

En 1723, dans l’un des récits les plus célèbres de l’histoire du caviar, le jeune roi de France Louis XV se voit offrir par l’ambassadeur du tsar Pierre Le Grand sa première cuillerée de caviar… Il s’empresse de recracher avec dégoût sur les sols du palais de Versailles. au grand dam de l’ambassadeur. Le caviar a encore un peu de chemin à parcourir !

Puisqu‘il est presque impossible de recevoir du caviar frais en Europe, celui-ci devient un mets mythique évoqué avec émotion et enthousiasme dans les récits de voyages et d’aventures de l’époque . En 1760, un comte parisien fortuné fait dépêcher un émissaire en Russie pour lui apporter au triple galop, un kilo de caviar. Ce dernier lui parviendra un mois et demi plus tard nettement moins frais mais au prix d’un kilo d’argent massif…

Cela n’empêchera pas ce caviar corsé, et parfois faisandé, de faire une discrète apparition sur les tables aristocratique de l’Europe du XVIII° siècle, comme celle du français Valentin Jameray-Duval (1695-1775). Ce conseiller scientifique de l’empereur autrichien François Ier est sans doute l’un des premiers Européens connaisseurs en caviar. En 1741, le Dictionnaire universel de commerce reconnaît déjà le caractère exotique du caviar. Un siècle plus tard, le Dictionnaire encyclopédique usuel conclut : « Le caviar est fort recherché en Russie mais aussi en Turquie, en Allemagne ou en Italie ». Mais pas encore en France.

Révolution 

C’est la révolution industrielle qui, à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, va permettre au caviar de qualité supérieure de voyager jusqu’aux tables européennes. La glace industrielle, le chemin de fer et les méthodes modernes de conservation lui assurent une diffusion mondiale et un succès durable. Ces nouveaux moyens permettent d’exporter un caviar plus frais. La révolution industrielle russe, tardive mais intense, provoque un essor économique sans précédent. Elle propulse le pays au rang de troisième puissance économique mondiale avant la Grande Guerre. Elle porte le « premier boom du caviar » au-delà de ses frontières.

De manière générale, ce sont les négociants allemands, notamment ceux de Hambourg, depuis les premiers contrats accordés en 1675 par le tsar aux marchands hambourgeois Belkens et Ferporten, qui contrôlent les approvisionnements européens et américains. L’un des principaux acteurs de ce premier boom est ainsi la firme hambourgeoise Dieckmann & Hansen. Très tôt spécialisée dans le négoce de caviar russe, allemand et américain, possède ses propres pêcheries en Sibérie, à Astrakhan et sur la côte est des États-Unis. C’est elle qui introduit l’usage de la boîte en fer-blanc (toujours utilisée de nos jours) pour remplacer les tonnelets de tilleul.

Mais les Russes sont amoureux de la France. C’est là, à Paris ou sur la Côte d’Azur florissante  que dignitaires impériaux et riches industriels se retrouvent. Ils importent leur tradition apéritive des zakuski, hors d’oeuvre généreux dressés sur une table à part et dans lesquels le caviar a toujours une place de choix. Dans le même temps, une vague russophile déferle sur la France : c’est l’époque des emprunts, puis des ballets russes. Les chefs cuisiniers français vont mettre à leur carte le caviar. Ils servent de manière grandiose aux hôtes parisiens et étrangers des plus grandes tables. Le grand Auguste Escoffier “rois des cuisiniers et cuisinier des rois”, fait du caviar frais une signature de fête de ses plus grands menus de haute gastronomie, du Savoy et du Carlton de Londres au Ritz de Paris.

Le caviar et le luxe

C ’est grâce a son introduction en France à la Belle Epoque, puis à son renouveau dans ce même pays dans les “Années Folles” d après-guerre que le caviar va définitivement acquérir son aura de luxe suprême.

Durant cette Belle Epoque, la France reste en effet la référence mondiale du goût et des modes ; ainsi lorsqu’elle devient, pour le siècle à venir, le premier pays consommateur de caviar hors de Russie, le caviar reçoit enfin l’adoubement qui en fera le mets le plus recherché au monde.

Les années folles

Si, en Russie, la Grande Guerre et les troubles révolutionnaires suspendent le destin du caviar pendant près d’une décennie, les années 1920 marquent le second boom du caviar. L’engouement des élites pour les précieux oeufs est plus fort encore dans ces Années folles. Paris et le monde, en ébullition et en fête, cherchent à oublier les traumatismes de la guerre. Pour cette génération d’Européens scandalisés par l’assassinat de la famille impériale et témoins d’un exode massif de Russes fuyant la sauvagerie des révolutions, le caviar reste le symbole d’une époque de fastes et d’opulence. On pressent déjà perdue à jamais, l’arrière-goût sucré d’une Belle Époque déjà mythifiée…

Après la guerre civile et de fermeture absolue de ses frontières, le nouveau gouvernement d’URSS cherche, au début des années 20, des sources fraîches de devises. Et faire affaire avec des français  malgré des relations diplomatiques tendues  pourrait bien contrebalancer le risque que semblent représenter les traditionnels négociants hambourgeois qui peinent à régler leurs achats en devises librement convertibles en or comme l’exigent les soviétiques.

Cette opportunité va nourrir l’activisme et l’inventivité de nouveaux acteurs :

  • Caviar Volga, importateur officiel du caviar soviétique, à la fin du blocus allié. La société se tournera plus tard vers l’Iran ; les célèbres frères Petrossian, créateurs de la première véritable marque de caviar. Ils en deviendront les premiers négociants mondiaux.
  • Caviar Kaspia, créé en 1927 par l’émigré russe Arcady Fixon et dont le nom perdure encore.

Paris, va alors ravir à Hambourg le titre de capitale du commerce des précieux oeufs. À la fin des années 1930, le caviar, tout en gardant un exotisme teinté du secret soviétique, est désormais indéfectiblement lié à la passion française pour la gastronomie. Il est définitivement devenu le symbole absolu du luxe, du faste et de l’opulence.

Épilogue à ce nouveau statut du caviar.

Après Paris, c’est Hollywood qui se fera par la suite l’ambassadeur de ce luxe. De nombreuses stars ne jureront désormais plus que par les précieux grains noirs pour cultiver leur image glamour.

Source @Charles de Saint Vincent – Auteur de « Caviar, manuel décomplexé à l’usage de l’ amateur »

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